Ouattara–Traoré : un bras de fer qui paralyse l’UEMOA

Le 11 juillet 2025, les ministres des États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) doivent se réunir à Dakar. Mais à quelques jours de cette importante rencontre, l’organisation sous-régionale est en proie à une crise inédite. En toile de fond : le refus catégorique du président ivoirien, Alassane Ouattara, de voir le Burkina Faso assurer la présidence tournante du Conseil des ministres de l’UEMOA. Une position qui expose au grand jour les tensions UEMOA et menace l’unité d’une institution clé de l’intégration régionale.

Une rotation bloquée, un principe bafoué

Au sein de l’UEMOA, la présidence du Conseil des ministres est une fonction tournante. Chaque État membre doit, à tour de rôle, assumer cette responsabilité. En 2025, le tour revient au Burkina Faso, conformément à l’ordre protocolaire établi depuis la création de l’union en 1994.

Pourtant, cette règle simple est aujourd’hui contestée. Selon plusieurs sources diplomatiques, le président Alassane Ouattara aurait signifié son opposition à ce passage de relais. Il estime que le Burkina Faso, dirigé par un régime issu d’une transition militaire, ne saurait présider une instance aussi stratégique. Ce rejet unilatéral met en évidence une tension grandissante entre Abidjan et Ouagadougou.

Une crise politique déguisée en affaire institutionnelle

Derrière l’argument de la légitimité démocratique se cache une lutte d’influence plus profonde. Le président Traoré, depuis son arrivée au pouvoir en septembre 2022, incarne une nouvelle génération de dirigeants ouest-africains. Il prône la souveraineté, l’auto-détermination et une rupture avec les logiques de dépendance héritées de l’époque coloniale.

Cette posture agace Alassane Ouattara, perçu comme le garant des équilibres classiques, proches des institutions financières internationales et des partenaires occidentaux. Le Burkina Faso, avec le Mali et le Niger, forme désormais un bloc contestataire au sein de la région. La crise actuelle à l’UEMOA n’est donc pas un simple malentendu administratif : elle est l’expression d’une fracture idéologique majeure.

Une paralysie aux conséquences régionales

Le refus de voir le Burkina Faso accéder à la présidence du Conseil des ministres de l’UEMOA a déjà un effet concret : le blocage du fonctionnement de l’organisation. Sans présidence officielle, la réunion du 11 juillet pourrait être reportée, voire annulée. Les décisions attendues sur la convergence économique, les politiques douanières ou la régulation monétaire sont donc compromises.

Or, dans un contexte de crise économique mondiale, les États membres ont besoin d’une UEMOA stable, efficace et solidaire. Cette paralysie inquiète déjà plusieurs partenaires techniques et financiers. Les tensions UEMOA pourraient nuire aux perspectives d’investissement et au climat de confiance entre les pays membres.

Une fracture assumée entre États

La réaction des autorités burkinabè ne s’est pas fait attendre. À Ouagadougou, des voix officielles dénoncent une volonté de « museler un État membre au nom d’un alignement politique ». Pour les partisans du pouvoir de transition, ce refus est une attaque contre la souveraineté du Burkina Faso.

Plusieurs analystes rappellent qu’aucun texte de l’UEMOA n’interdit à un gouvernement de transition d’exercer la présidence tournante. Le Mali et le Niger, eux aussi dirigés par des militaires, pourraient emboîter le pas au Burkina Faso et refuser d’assister à la réunion si leur voisin n’en assure pas la présidence comme prévu.

Une institution fragilisée

Cette crise met en lumière la vulnérabilité des institutions régionales. L’UEMOA, censée promouvoir l’intégration économique, se retrouve prisonnière de conflits politiques entre chefs d’État. Les valeurs d’équité, d’unité et de solidarité qui fondent l’organisation semblent mises entre parenthèses.

Plus inquiétant encore, ce bras de fer révèle une politisation croissante des espaces techniques de coopération. À terme, cela pourrait fragiliser la monnaie unique CFA, déjà sous pression, et provoquer un désengagement progressif de certains pays. Si les tensions UEMOA persistent, c’est toute l’architecture d’intégration sous-régionale qui risque de vaciller.

Appels au dialogue

Face à cette impasse, plusieurs diplomates appellent au calme et à la médiation. Le Sénégal, qui accueille la réunion du 11 juillet, joue la carte de la neutralité. Il cherche à convaincre les parties de trouver une solution politique et symbolique qui éviterait l’escalade.

Des observateurs évoquent l’idée d’une présidence partagée ou déléguée temporairement à un pays tiers. Mais ces options, si elles calment la situation à court terme, ne résoudront pas la question de fond : peut-on exclure des États membres d’une organisation pour des raisons politiques ? Et jusqu’à quand les institutions régionales pourront-elles fonctionner sans s’adapter aux nouvelles réalités géopolitiques ?

Une querelle révélatrice

La crispation entre Ouattara et Traoré est révélatrice des mutations en cours en Afrique de l’Ouest. Elle oppose deux visions de la souveraineté, deux générations de dirigeants, deux modèles d’alliance. D’un côté, une gouvernance libérale ancrée dans les partenariats traditionnels. De l’autre, une approche plus radicale de la souveraineté et du développement endogène.

Cette opposition gagne les institutions régionales. Et si elle n’est pas régulée, elle pourrait entraîner une crise plus large de légitimité au sein de la CEDEAO, de l’UEMOA, voire de la zone franc elle-même. Le bras de fer en cours dépasse largement le seul cas burkinabè. Il engage l’avenir du multilatéralisme africain.

 

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